Togo : le coup de mou devenu légende

Un tube de dentifrice replié sur lui-même. C’est ainsi que son créateur, Michel Ducaroy décrivait son canapé. Pensé dans un contexte d’après-68, où l’on rêvait d’intérieurs plus libres et d’objets moins rigides, il a incarné l’esprit d’une époque, celui du confort démocratique et de la désinvolture élégante. Moqué à ses débuts, il est devenu une icône mondiale du design français, vendue à plus d’1,5 million d’exemplaires.

Au début des années 70, les intérieurs s’affranchissent des codes : les tables s’abaissent, les assises aussi. On vit plus libre, plus détendu, au ras du sol.
Jean Roset, héritier de la maison Ligne Roset, observe ces mutations. Il veut créer un mobilier qui parle à cette génération post-68, plus sensuelle, plus spontanée.

Il confie alors à Michel Ducaroy, designer déjà présent dans l’entreprise depuis plus de dix ans, la mission d’inventer un siège radicalement nouveau.
Formé aux Beaux-Arts de Lyon, section sculpture, Ducaroy s’est pris de passion pour les matériaux émergents : mousses, ouates, plastiques thermoformés. Son idée : créer un canapé sans structure apparente, tout en plis et en mousse.

Le résultat ? Le Togo, un bloc affaissé, moelleux, sans armature. Un canapé qui épouse le corps et invite à s’affaler.

Michel Ducaroy, dans les ateliers de Ligne Roset.

Un ovni au Salon des Arts ménagers

Lorsqu’il est présenté au Salon des Arts ménagers de Paris en 1973, le Togo surprend. Certains visiteurs croient qu’il manque une base.
Mais le jury, lui, comprend l’audace du projet et lui décerne le prix René-Gabriel, qui récompense un mobilier “innovant et démocratique”.

C’est un tournant. Le Togo incarne alors l’esprit post-68 : liberté des formes, confort revendiqué et rupture avec les conventions bourgeoises.

De l’objet controversé à l’icône mondiale

Dans les années 80, le Togo devient un classique.
Sa fabrication artisanale, encore assurée à la main dans l’Ain, en fait un objet à la fois industriel et sculptural. Chaque exemplaire est confectionné par un seul et même tapissier : chacun a son propre « coup de main », cela garantit un ensemble régulier et harmonieux.

Plus d’1,5 million d’exemplaires ont été vendus dans 72 pays.
Lady Gaga en a choisi un rose. Lenny Kravitz l’a intégré dans sa maison parisienne.
Et plus récemment, Florence Foresti en a fait une star à part entière dans la série Désordres. Elle le voulait dans la même teinte havane, patiné comme celui de son salon. Trop bas, trop “avachi” pour certains réalisateurs ? Qu’importe. Foresti avait raison : le Togo y est devenu presque un personnage.

La légende continue

Cinquante ans après, le Togo reste un ovni de confort, toujours fabriqué à la main, toujours en mousse à densités variables.
Ligne Roset a même lancé en 2023 un passeport digital pour lutter contre les copies et garantir l’authenticité de chaque pièce.

“Un siège dessiné pour durer plus que la mode” disait l’une des premières campagnes de publicité, signée par l’agence Roux-Séguéla. C’était vrai.