Lotte Stam-Beese : celle qui a quitté le Bauhaus pour rebâtir une ville

Au Bauhaus, on répétait que les femmes ne savaient pas « penser en trois dimensions ».
Lotte Stam-Beese va passer sa vie à prouver l’inverse.
Première femme admise au cours d’architecture en 1927, elle deviendra après-guerre l’une des voix majeures de la reconstruction de Rotterdam. Son projet manifeste : Pendrecht. Une ville pensée à hauteur d’habitants.

En 1926, Lotte Stam-Beese arrive au Bauhaus. Comme beaucoup d’étudiantes, elle est orientée vers l’atelier tissage, sous la houlette de Gunta Stölzl, tout en suivant l’enseignement de Paul Klee, Wassily Kandinsky ou encore Moholy-Nagy et Josef Albers.

L’année suivante, Walter Gropius invite Hannes Meyer à ouvrir un département d’architecture diplômant. Contrairement au fondateur du Bauhaus, Meyer est enclin à y accueillir les étudiantes, qui étaient jusque là, tenues à l’écart de la discipline.

Lotte est la première femme admise dans l’atelier. Les doutes subsistent pourtant : Meyer lui-même pense qu’une femme ne peut exercer qu’« aux côtés d’un mari architecte ».

Ironie du sort : ils entament une relation. Et lorsqu’il prend la direction du Bauhaus, il lui demande de quitter l’école pour éviter le scandale. Lotte s’en va, sans diplôme.

La découverte d’une nouvelle vision de l’urbanisme

Lotte poursuit sa formation ailleurs : à Berlin, puis à Brno, dans l’agence de Bohuslav Fuchs, où elle s’imprègne du fonctionnalisme à travers écoles, banques et sanatoriums.

Puis vient l’URSS. Lotte y découvre l’urbanisme de masse : les sotsgorody, ces villes ouvrières standardisées, pensées avec des logements et des infrastructures sociales.

Une conviction s’ancre en elle : la ville peut façonner la société.

Repartir de zéro

De retour aux Pays-Bas, Lotte reprend tout à zéro. À 37 ans, sans reconnaissance officielle, elle se remet aux études et décroche enfin son diplôme d’architecte en 1945 à Amsterdam.

Dès l’année suivante, elle rejoint le service d’urbanisme de Rotterdam. La ville, détruite par les bombardements de 1940, est alors un immense chantier. Lotte y travaillera jusqu’à sa retraite, en 1968. Seule femme architecte de l’équipe, elle va marquer durablement le visage de la cité.

Rotterdam, laboratoire d’une ville pour tous

Dès 1947, elle signe la première rue sans voitures des Pays-Bas.

Puis, entre 1949 et 1953, vient le projet Pendrecht : 6 300 logements, organisés en « unités de voisinage » avec des espaces verts, des porches, des cheminements doux et des services de proximité. Elle conçoit le moindre détail, jusqu’à préconiser des essences végétales.

« Pendrecht veut être un fragment de ville. Pas une banlieue où l’on se retire de la vie urbaine. »

Lotte refuse l’idée de « cité-dortoir ». Le quartier reste connecté au centre-ville : une manière de préserver la vie citadine.

On venait en bus visiter ce modèle, incarnation de l’optimisme de la reconstruction.

Dans les années 1960-70, elle conçoit Ommoord, son dernier grand projet : alternance de barres hautes et basses, cœurs verts et « cores » (noyaux de services) pour articuler habitat, équipements et paysage.

Ce qu’il reste de Lotte à Rotterdam

Lotte est morte en 1988, peu avant le début de la vaste rénovation du quartier. Certaines habitations ont été démolies, d’autres rénovées ou fusionnées, les espaces verts repensés. 

Mais l’esprit du plan initial, cette volonté de faire de la ville un espace pour tous, reste encore lisible dans le quartier aujourd’hui.

Elle demeure l’une des rares femmes à avoir joué un rôle aussi déterminant dans la reconstruction urbaine européenne. Une architecte et urbaniste qui a pensé la ville dans toutes ses dimensions. Y compris humaines.

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