Duralex : l’histoire du verre qui ne se cassait pas

À la cantine, tout le monde a déjà regardé son âge au fond d’un verre. Derrière ce rituel d’enfance se cache une icône du design français : Duralex. Né près d’Orléans, ce verre trempé a conquis le monde entier, traversé les crises et reste, 80 ans plus tard, un symbole du quotidien.

On ne sait pas qui a inventé ce jeu mais une chose est sûre… Tout le monde, un jour, a scruté le fond de son verre à la cantine pour deviner son âge. (Et dans la mienne, le plus jeune devait même débarrasser la table).

Ces petits verres de cantine, ce sont des Duralex. Nés près d’Orléans, ils ont conquis le monde entier.

Le verre trempé, l’innovation qui allait changer la vaisselle

L’histoire démarre à La Chapelle-Saint-Mesmin, dans le Loiret.
D’abord distillerie puis verrerie de flacons de parfum, le site est racheté en 1934 par Saint-Gobain, l’ancienne manufacture royale qui avait produit les glaces de Versailles.

À la fin des années 30, le groupe met au point une innovation décisive : le verre trempé. Quatre à cinq fois plus résistant qu’un verre classique, il se brise en petits éclats non coupants. D’abord utilisé dans l’automobile ou l’éclairage, il allait bientôt révolutionner la vaisselle du quotidien.

Le verre Gigogne : l’exemple parfait du design utilitaire

Le 6 juin 1945, la marque Duralex est déposée.
Dès l’année suivante, le verre Gigogne voit le jour. Sa forme cylindrique, pensée pour s’empiler sans s’ébrécher, en fait un objet aussi simple que génial.

C’est le parfait exemple du design utilitaire des Trente Glorieuses : standardiser, équiper, répondre à un besoin collectif avant tout.
Le succès est immédiat : des millions d’écoliers boivent dans un verre Gigogne.
Et tous s’amusent à scruter leur « âge » au fond, en réalité le numéro du moule qui assure la traçabilité.

© Duralex

Le verre Picardie, un succès mondial

En 1954, Duralex sort un second modèle culte : le Picardie.
Avec ses neuf facettes, il accroche la lumière, épouse la main et reste empilable. Toujours en verre trempé, bien sûr.

© Duralex

Le Picardie s’installe dans les foyers français, puis s’exporte massivement. En Europe de l’Ouest comme au Proche-Orient, il équipe cafés et restaurants, particulièrement là où le thé et le café brûlants sont servis en continu.

À son apogée, Duralex emploie jusqu’à 1 500 personnes.
Dans les années 2000, le Picardie obtient la consécration : il entre au MoMA Design Store de New York. Même James Bond, dans Skyfall, y sirote son whisky.

Quand Duralex a frôlé la casse

À la fin des années 70, Saint-Gobain cède l’activité. Suivent des décennies mouvementées : rachats ratés, fraudes de dirigeants, dépôts de bilan, explosion des prix de l’énergie… Duralex a souvent été au bord de la casse.

En 2020, la hausse du coût de l’énergie contraint même l’usine à arrêter ses fours pendant plusieurs mois.

Le rebond d’une icône

Et pourtant, en 2024, nouveau rebond : l’entreprise est reprise en Scop par ses salariés, soutenus par les collectivités et l’État. Les deux cents emplois de La Chapelle-Saint-Mesmin sont sauvés.

Aujourd’hui, les Gigogne et les Picardie continuent de sortir des fours.
Classiques dans leur version transparente, recherchés dans leurs éditions colorées ou anciennes, ils sont devenus des pièces de collection autant que des objets du quotidien.

© Orléans Métropole

Un objet incassable… comme son histoire

À 80 ans passés, Duralex n’est pas seulement un verre.
C’est à la fois une madeleine d’enfance, un morceau de mémoire collective et un objet de design démocratique.
Incassable, au sens propre comme au figuré.